Bangkok- Malaisie, wagon 2





Il est l'heure de quitter la Thaïlande. Pour dire au revoir, lentement, je vais rejoindre la Malaisie en train. Départ à la gare de Hua Lampong avec mes trois sacs beaucoup plus trop lourds, six mois ça laisse des traces. Elle a des airs d'Orient Express cette gare. Style néo-Renaissance avec grandes verrières, arcs en fer forgé et vitraux. Bon présage. J'ai entendu dire qu'il fallait payer 6000 dollars pour faire Bangkok – Singapour dans les vieux wagons. Un jour peut-être.. L'excitation des voyages en train, les bousculades dans les couloirs avant que la mécanique soit mise en route se laisser embarquer, siège avec vue, vivre au rythme vertical, parcourir des kilomètres pour explorer les wagons tous pareils mais dont on attend tant du prochain, le charme bavard du wagon bar, les couchettes qui transforment le compartiment en dortoir géant, la promiscuité qui appelle les histoires à être contées.

Le train peine à démarrer à l'heure, personne en face de moi, à droite une jeune femme asiatique. Le départ enfin, lentement les wagons se réveillent, crissent de plaisir et la caravane s'ébroue. La gare de Hua Lampong est en plein centre ville, on frôle les maisons, traverse les klongs, les jardins, avance à côté des voitures. Une heure plus tard Bangkok est derrière nous. Il faut encore attendre pour arriver dans la campagne. Mes paupières sont lourdes, je ne veux pas dormir, je ne veux pas rater une miette de ce qui défile sous mes yeux, la lumière mordorée de la fin d'après-midi, évanescents paysages. Je suis comme paralysée, impossible de prendre un livre, de la musique. Je veux que tous mes sens soient en éveil, capturer un instantanée de l'extérieur, un mot, comprendre les plaisanteries du contrôleur, dire non aux vendeurs de bouffes qui traversent le train à chaque stop. On me donne un oreiller, je m'enfonce dans le siège en cuir. Trop facile. Je m'endors, sursaute, me réveille, m'endors encore. Le visage familier du contrôleur me rappelle où je suis. Ce visage parlons-en. Il me fascine. Ses lèvres sont dessinées avec la délicatesse de Botticelli, les yeux rieurs font oublier les cernes et l'âge sans doute avancé. Beauté du quotidien. Les arrêts voient défiler les personnages, les valises. J'ai enfin un voisin, pas très charmant, ado boulimique vissé à son portable. Le soleil rouge sang se couche tranquillement sur les palmiers. Je ne sais pas trop ce qui va advenir de moi. Le contrôleur passe installer les couchettes. Il n'est même pas 19h. Clic clac les deux sièges se transforment en lits superposés. Je suis supposée occuper celui du haut. Il est trop tôt pour dormir. On me propose un siège qui n'est pas encore transformé. Je me laisse choir pendant que les thais se préparent à dormir. « On » s'appelle Joi, est un Malais chinois installé à Bangkok depuis 13 ans, il prend ce train tous les trois mois pour renouveler son visa à Penang et connaît tous ses recoins, ses rouages et ses travailleurs. Il prédit quand le train va s'arrêter et est incollable sur les noms des stations, il a une plaisanterie pour chaque agent qui le lui rendent bien.
Les gens s'endorment autour de nous, on se réfugie au wagon restaurant où règne une ambiance de croisière fauchée. Toutes les classes, les nationalités sont confondues, échapper à la nuit est notre seul point commun. Les russes jouent aux cartes, les thaïs sont plongés dans la télé et son karaoké sans micro, les travailleurs déboutonnent l'uniforme et savourent un whisky avant la nuit trop courte, un grand-père malais boit son café et nous on fait des aller-retour de notre table à la plate-forme prendre l'air chaud de la nuit. Joi remplit nos verres d'heineken qu'il adore et me raconte son Paris où il a travaillé six mois comme acheteur chez Louis Vuitton pour un riche patron. Il me raconte les histoires des étranges personnages qui s'arrêtent à notre table, serveurs, mécanicien, riche propriétaire de plantation de palmiers à huile, jeune thaï du sud qui rentre chez lui. Joi parle six langues et m'apprends à différencier les malais des thaïs, mauvaise élève. Pas facile pour un pays si multi-éthnique.

Je rejoints ma couchette et dors tant bien que mal luttant contre le ronflement olympique de mon gros voisin du dessous, le froid terrible de l'air conditionné et le néon qui pend à cinq centimètres de mes yeux. Pour le confort on prendra l'Orient-Express ! Maipelay comme on dit en Thailande, les bercements des rails suffisent à me rendre heureuse.

J'émerge à 7h, ne sais toujours pas où m'asseoir tant que les couchettes ne sont pas démontée.. Ma voisine asiatique m'invite à partager le siège vide en face d'elle. Ryoko est japonaise et travaille/étudie à Bangkok. Toutes les routes mènent en Thaïlande on dirait...Elle sera ma future roomate et compagnon de visite à Georgetown pendant son seul jour de passage ici. Joi nous rejoint et la matinée avance tranquillement en récits, passage de frontière et micro sieste.

926 km que je regrette pas d'avoir parcouru en 24h.



 

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