Dimanche 2 Février,
tard.
S'endormir au bureau. Je
suis trop fatiguée pour méditer là-dessus. Peu importe feu
l'appart génial dans lequel doit déjà se prélasser un parfait
inconnu. Peu importe le sol poussiéreux, le bruit des voitures qui
passent et passeront encore sur ce grand axe à 5 mètres de mes
pieds, peu importe l'odeur du tabac froid et les suppositions de Pam
sur l'emplacement de l'Alliance en plein « Ghost Gate »,
les souvenirs de ce week-end tournoient et s'évaporent le long des
murs beaucoup trop hauts. Seul le tic-tac de l'horloge me rappelle
que le temps ne s'est pas arrêté et que la pièce demain se
métamorphosera en bureau animé. Je ne sais plus trop si je me
réveille d'un long songe ou si vraiment j'ai été. Été dans ce
village Lahu, fêter le nouvel an dans cette tribut. Été accueillie
dans la maison en bambou de Jané et sa mère avec mes autres amis de
farang. Été autour de cette table basse où les rires n'avaient
pour rivals que les verres de whisky qui trinquent. Et les rondes et
la musique, les montagnes et les cascades.
Vendredi 31 Janvier
C'est le Nouvel An
chinois, toute la ville tourne au ralenti. Ce n'est pas un jour férié
dans le calendrier thaï, mais comme 50 % de la population ici a des
origines chinoises, les fêtes et coutumes sont très respectées. Le
temple chinois se pare de lanternes rouges et les dragons géants
défilent dans les rues.
Pleine lune. Elle
coïncide aussi avec le nouvel an de certaines tribus montagnardes,
implantés autour de Chiangrai. Manu, l'homme de la situation passe
deux trois coups de fil et le plan est trouve. Jané, un de ses amis
originaire d'un village de la tribut Lahu nous invite dans sa
famille.
J'ai a peine le temps de
transporter mon appartement à vélo à travers toute la ville,
donner 3h de cours et avaler un patkrapao qu'il est déjà 13h, on
retrouve Jané, venu nous montrer la route. Splendide évidemment, on
passe d'une végétation luxuriante à des paysages pyrénéens, la
route tourne autour des montagnes un ruisseau en contrebat.
Ban Jalae. On gare les
motos sous la maison sur pilotis en prenant soin de ne pas ecraser
les poulets ou les porcs en pleine sieste, les provisions sont
déposées. On repart en moto à travers les pistes de montagne pour
atteindre un autre village Lahu. ''Ne freine pas si tu ne veux pas
tomber'' me lance-t-on avant d'attaquer une descente sableuse, c'est
pas drôle les gars. Sentir le sol se dérober et l'engin s'avachir
mais non l'équilibre tient encore à un fil, sauve. On reprend, ça
passe crème. En rentrant je passe mon permis.
En attendant c'est
l'heure de retourner au village de Jané. Pam s’empare de la
cuisine, une baraque en bambou sur pilotis dans laquelle un espace
est aménager pour faire un feu. Elle nous engueule quand on vient
lui proposer de l'aide. La cuisine c'est vraiment sacré chez les
femmes thaïes, au diable les considérations sexistes, son
application et son sourire en nous regardant manger valent tous les
procès du monde.
La tête un peu embrumée
par ces considérations sociales déroutantes car finalement si peu
condamnables ici (ou s’arrête l'universalisation des comportements
au nom des sacro-saints principes d’égalité des sexes, quelle
part accorder à la culture dans la légitimation de certains actes?
Pourquoi j'accepte quelque chose que je condamne chez moi ?!). Ne pas
faire l'amalgame entre plaisir et tâche quotidienne ingrate pour
accepter ces us est peut-être la réponse.
On part donc faire le
tour du village. Tout semble très calme, un décor de farwest. La
nuit va bientôt reprendre ses droits, patience nous souffle notre
hôte. C'est juste le calme après la tempête. On croise le chef peu
bavard, les gosses qui jouent entre les maisons, communauté autonome
qui s'occupe seule une fois sevrée. Des femmes et enfants s'essaient
au karaoké sur un balcon, d'autres traînent autour de la place
principale. Entre un semblant d’échoppe (le 7/11 blague Jané) et
une tribune se dresse un autel des esprits, les fanions de couleurs
volent jusqu'au ciel, au milieu une tête de porc offerte en
sacrifice. Les tribus sont animistes mais en réalité leurs
pratiques religieuses quotidiennes s'ancrent plus dans un syncrétisme
mêlant culte animiste, bouddhisme (influence ambiante) et
christianisme (les missionnaires ont été particulièrement
virulents auprès des tribus, Akka plutôt.).
On reprend nos quartiers
assis tous en cercle sur la partie extérieure de la maison de Jané.
On emmène les plats sur notre table en bambou et la première
bouteille de whisky se déverse dans nos verres. Il est 17h.
Que dire ensuite.. La
musique résonne dans tout le village, la concurrence est rude entre
toutes les enceintes installées sur chaque balcon crachant de la pop
thaïe en boucle. Jané est fier de nous passer de la musique
américaine et même Mika s'incruste sur notre terrasse. Les voisins
se succèdent sur notre natte, juste passer voir ces farengs qui
dit-on passent la nuit au village, troquer une cigarette industrielle
contre une roulée de leur fabrication ou juste trinquer pour la
nouvelle année. Les bouteilles se vident, j'ai décidé de ne plus
regarder l'heure, il n'y a plus d'heure pour l'ivresse, plus d'heure
pour aller se coucher, on est trop loin de toutes nos normes.
Le balcon d'en face et
ses femmes qui se trémoussent sur le dernier morceau à la mode en
Thaïlande me fais de l'oeil depuis un moment. Au prétexte de me
sociabiliser je descends les marches, traverse la ''rue'' et remonte
juste en face, bientôt rejoint par Zou nous voila les guest star
accueillies à coup de bière et de mains qui nous attrapent pour
danser, trop aimable vraiment.
Quant à la suite.. Je
vois les visages éclairés à la bougie bouger au-dessus de notre
table au rythme de la musique, des conversations et des rires. Pam et
Jané nous propose un jeu thaï..qui n'est autre que
pierre-feuille-ciseau dont je n'ai jamais compris les règles.
Imaginer 6 poings qui s'ouvrent au bout de Nung Sung Sam (1, 2, 3) et
il faut déterminer un perdant, je ne sais pas, je ne sais plus, je
ne veux pas savoir.
Les enceintes
s'éteignent une à une, les Lahus sortent de leurs maisons et nous
convergeons avec eux vers la place du village toute à l'heure
déserte. Une grande ronde toutes générations confondues tournoie
au rythme des percussions et des chants traditionnels. Le mouvement
rayonne de l'autel. Des enfants jouent sur les tables et le chef du
village trinque avec nous quand nous ne sommes pas en train de
danser. Chacun sait exactement le rôle qu'il a joué alors que tout
semble si peu naturel. Je retrouve mes amies-voisines et puis la nuit
m'embarque.
Nous ne sommes plus que
trois autour de notre table en bambou. Une mamie vient nous chercher,
je suis l'étrange cortège qui traverse le village sous une nuit
d'encre éclairé par la pleine lune. On nous fait rentrer dans une
baraque en bambou. Deux femmes s'affairent pour préparer le thé au
dessus du feu intérieur. Puis viens mon tour, je m'allonge en face
de la grand-mère qui nous a emmené ici, la pipe en bois entre mes
lèvres, j'aspire les vapeurs d'opium pendant qu'elle arrange la
gomme. Je laisse aller me laisse inhalée. Et pars me coucher.
Pas facile de dormir
alors que la musique résonne si fort dans le village, la fête ne
s'arrête pas, ils iront se reposer quelques heures demain et
recommenceront ce cérémonial pendant les dix jours restant. Nous
serrons bien loin de cette vie tribale qui s'est laissée caresser le
temps d'une nuit loin des villages-vitrines des tours operator. Je
(re)garde le bracelet de chance lahu à mon poignet gauche.
L'invitation pour l'année prochaine est lancée. Je ne sais pas
vraiment ce que j'y retrouverai à la vitesse où la culture de masse
thaïlandaise rase tout sur son passage. Croissance quand tu nous
tiens.
Bonne nuit.
où est Charlie? |
C'est beau. ça chuchote plein d'histoires. Beau regard...
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