Le chateau dans le ciel. un dimanche a Mae Salong



26 Janvier 2014

Doi Mae Salong. Soleil ou brume c'est un lieu fascinant et la route à elle seule vaut déjà le détour. Prévoir deux heures pour atteindre le village au sommet d'une montagne n'est jamais assez tant la route photogénique et vertigineuse accapare les yeux et les poignets qui freinent. C'est d'ailleurs sur ces lacets que j'ai appris à conduire une moto (automatique ne nous emballons pas) et c'est peut-être pour cela que je n'ai pas compris les cris outrés de mes amis qui m'ont traitée de folle à mon retour. J'ai fais bien mieux, j'y suis retournée, et pas qu'une fois.











Ce dimanche c'est prise d'une lubie presque d'antiquaire que j'ai réussi à me lever aux aurores pour mettre les voiles (le gazoil) vers Mae Salong.


Doi Mae Salong c'est avant tout une montagne (« doi ») perdue – il faut le dire – à l'ouest de Chiangrai, à 40 km d'une ville digne de ce nom ( comprenez un bourg avec un supermarché, un arrêt de bus et une police station), la route qui y mène, si elle plutôt plate au début et permet d'apprécier un décor de rizières, commence à sacrément zigzaguer en trois dimensions bien assez vite. Certaines côtes nous laissent carrément dubitatives sur la capacité à être deux sur la 125, le compteur de vitesse frisant la chute libre.
















Cette montagne donc, est célèbre pour sa production de thé. Les plants requièrent des variations de température importantes pour pousser et la fraîcheur de la nuit montagnarde, doublée d'une belle journée ensoleillée semble les séduire. Sur une crête, un village s'étend au bord de la route sur plusieurs kilomètres jusqu'à créer un petit centre, la place du marché. Cet endroit me fait toujours l'effet d'un repaire de pirate, d'un comptoir commercial secret, d'une caverne d'alibaba particulièrement pour les amoureux du thé. Je n'entre pas vraiment dans cette catégorie même si je me suis laissée séduire il y a peu mais l'univers des marchands de thés m’envoûte, et ici je peux me glisser dans les échoppes sombres pleines de théières, tasses, bols jusqu'au plafond, où s'accumulent différents sacs remplis de feuilles, variétés aux noms imprononçables, le tout surveillé par la mamie chinoise au fond qui te prépare un thé selon un protocole bien particulier, on ne rigole pas avec l'art de servir cette boisson qui est primordial pour tirer toute la saveur des feuilles. Je me suis laissée goûter son breuvage, d'abord versé dans un petit verre puis recouvert d'un bol aussi lilliputien, le tout retourné pour semble-t-il sentir la saveur dans le verre – qu'elle me colle sous le nez – avant de boire.


J'ai donc erré dans ces petites boutiques et intraitablement négocié mes trésors – qui ont manqué de se briser plus d'une fois sur la tortueuse route de retour. « Mais vous oubliez d’acheter le thé ! ». Pas besoin j'ai mon fournisseur déjà, Guy et ses plantations sur une autre montagne proche, garanti sans produits chimiques, vos théiers à Mae Salong ils ont beau être plaisants pour les yeux, les feuilles brillantes et sans perte mais très peu dans ma tasse vos pesticides.













Je parlais de mamie chinoise, ce n'est pas un raccourci , Mae Salong est un véritable village chinois où s'est implanté un régiment originaire du Yunnan après la Révolution de 1949. Architecture, nourriture, langue, écriteaux...


Avec eux cohabitent des tributs des montagnes qui viennent vendre leurs marchandises, riz, légumes et textiles au marché. Ils travaillent également dans les plantations de thé, autrefois champs d'opium.














Ici la route porte le parfum du thé, odeur fleurie qui se mêle à celle des cerisiers . On croise des Lasu ou Kharen qui grimpent avec leurs produits sur leur dos et trouvent quand même l'énergie pour nous gratifier d'un sourire. La route jusqu'au temple au sommet de la montagne est une enfilade de marches à l'asiatique (comprenez dix centimètres de hauteur), je sème vite ma coréenne et mes mollets me détestent. Mais les félicitations du gardien du temple en nous voyant arriver au sommet à pieds est un premier réconfort.






Paysage vaporeux, un temple rouge envahi par les fleurs, un stupa doré, des remparts de ce château dans le ciel je surplombe toutes les collines précédemment gravies et me sens plus haute que le ciel lui-même, les nuages. Le sol semble planer sous mes pas, ne pas redescendre, contempler encore. Sentir Lucrèce derrière ton épaule te retenir un instant... Et retourner à la guerre.






















« Qu’il est doux quand les vents lèvent la mer immense,
D’assister du rivage au combat des marins !
Non que l’on jouisse alors des souffrances d’autrui,
Mais parce qu’il nous plaît de voir qu’on y échappe.
Doux aussi, lors des grands carnages de la guerre,
De regarder de loin les armées dans la plaine.
Mais rien n’est aussi doux que d’habiter les monts
Fortifiés du savoir, citadelle de paix
D’où l’on peut abaisser ses regards vers les autres,
Les voir errer sans trêve, essayant de survivre,
Se battant pour leur rang, leur talent, leur noblesse,
S’efforçant nuit et jour par un labeur extrême
D’atteindre des sommets de pouvoir, de richesse…
Misérables esprits des hommes, cœurs aveugles !
Dans quelle obscurité, dans quels périls absurdes
Se consume pour rien leur presque rien de vie !
N’entendez-vous donc pas ce que crie la nature ?
Que veut-elle sinon l’absence de douleur
Pour le corps, et pour l’âme un bonheur pacifié,
Délivré des soucis, affranchi de la peur ? »






De Natura Rerum, II, v.1et suivants

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